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Soleil D'Afrique.CG

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Congo/Culture : Histoire de la déportation des Matsouanistes de Brazzaville.

Publié par Soleil d'Afrique.CG sur 20 Juin 2021, 06:08am

OBJECTIVATION, APHASIE COLONIALE ET HISTOIRE DE LA DÉPORTATION DES MATSOUANISTES DE BRAZZAVILLE (1959)
Meike de Goede
Page 204-205
La colère des jeunes de l’UDDIA se rattache explicitement aux violents événements de février de la même année. Ce lien, la lecture attentive des documents fait apparaître que les rapports le construisent délibérément. Ainsi, quand le rapport du Bureau des études 27 précise que les Balali (du Sud, partisans de Fulbert Youlou) désirent, animés par un sentiment de victoire, éliminer les Mbochi (des gens du Nord, partisans de Jacques Opangault), la même phrase est reprise le même mois dans un rapport politique. 
Mais là, les matsouanistes sont substitués aux Mbochi. Autrement dit, si selon le premier rapport les Balali veulent s’en prendre aux Mbochi, le second indique que ce sont les matsouanistes qui sont visés par les Balali. Bien que politiquement indifférents, en théorie, les matsouanistes se retrouvèrent mêlés au conflit politique opposant Youlou et
Opangault, alors qu’ils ne soutenaient ni l’un ni l’autre. Jean- Pierre Bat estime que ce sont les événements de février qui poussèrent les autorités françaises à consolider le pouvoir de Youlou, dans l’espoir d’éviter l’escalade de la violence. 
Ici, le glissement de « Mbochi » à « Matsouanistes », destiné à faire de ces derniers les objets de l’agression, est lourd de sens. 
Prétendre que les matsouanistes sont devenus l’objet d’agressions par les partisans de Youlou après les violents affrontements de février 1959, c’est là une invention des administrateurs français dont on peut supposer qu’elle correspond à un changement de politique délibéré.
Page 208
Depuis les événements de février 1959, les incidents s’étaient répétés périodiquement. Après les élections de juin, la violence s’intensifia. Sans surprise : « Tout le monde savait qu’ils allaient pourchasser les matsouanistes. »
Fred est né en 1945. Il n’avait pas quatorze ans au moment où les partisans d’Opangault et ceux de Youlou s’affrontèrent, en février 1959. Plusieurs mois après, la violence contre les matsouanistes s’intensifia et il y participa à Bacongo, où il vivait. Ni lui ni sa famille n’étaient matsouanistes. 
Le 17 juin 1959, Fred se joignit aux jeunes qui passaient de maison en maison pour s’en prendre aux matsouanistes. « J’avais quatorze ans, je n’avais aucune idée de ce dont il s’agissait. Mais comme il se passait quelque chose, je me suis mêlé à l’excitation de ces jeunes », me dit-il.
Page 209
Fred me conduit jusqu’à une petite maison, au coin d’une rue. Quand nous nous en approchons, il se tient à distance. Il est ému, cela se voit. « Ce qui s’est passé ici me gêne vraiment », dit-il.
Comme celle d’autres matsouanistes, la maison fut saccagée et tous les objets personnels furent brûlés dans la rue. Au début, les assaillants pensaient que le Matsouaniste qu’ils recherchaient était absent. A l’intérieur de la maison, ils trouvèrent un homme handicapé, la jambe déformée par la poliomyélite. Celui-ci déclara que le Matsouaniste n’était pas là. On l’enferma dans une pièce pendant que le groupe continuait à piller et à incendier. Puis, ils découvrirent qu’en réalité l’homme qu’ils avaient enfermé était le Matsouaniste qu’ils pourchassaient. Les meneurs débattirent du sort qu’il fallait lui réserver. Fred entendit leur conversation. L’un suggéra de couper la jambe déformée pour la faire brûler sur un bûcher. Un autre, de le précipiter dans le feu — lui, et pas seulement sa jambe. Fred ne parvient pas à se rappeler ce qu’il advint de cet homme.
Le même jour, le groupe se rendit dans une maison de la rue Voltaire, juste au coin de l’avenue du Temple où Fred habitait alors. La maison fut démolie et tous les biens furent brûlés. La femme qui vivait dans cette maison fut traînée par les jeunes jusqu’à la fontaine publique, au coin de l’avenue Guynemer et de l’avenue du Temple.
On la jeta par terre, quatre jeunes la maintinrent au sol, chacun tenant un de ses membres, tandis que d’autres introduisaient violemment dans son vagin des bouteilles de verre brisées. Ils enfoncèrent en elle tout ce qu’ils trouvaient. Le jeune Fred en fut bouleversé. Il n’avait encore jamais vu de femme nue et n’avait aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler un sexe féminin. Puis le groupe abandonna la femme, pour passer à la maison suivante. Beaucoup d’autres femmes furent traînées elles aussi à la même fontaine.
Ce jour-là, François rentrait de l’école. C’était le dernier jour de l’année scolaire. Arrivé à la maison, il trouva son père blessé d’avoir été battu. La maison n’avait pas été incendiée, mais tout y avait été détruit. Quant à sa mère, elle était nue, dissimulée dans un recoin, une couverture enroulée autour d’elle. Tandis que François me fait ce récit, les larmes lui montent aux yeux. Sa sœur aînée fut le témoin de ces événements. Elle est toujours vivante, mais François ne m’autorise pas à l’interroger. « C ’est trop douloureux 46 », me dit-il.
Douloureux pour elle, mais aussi, je le sens, douloureux pour lui.
Page 210 - 211
Les adultes ne furent pas les seuls à subir de telles violences ; les enfants matsouanistes ne furent pas épargnés. Jean a grandi rue Chaptal, à Bacongo, près du bureau de l’UDDIA, le parti de Youlou, rue Berlioz. Aussi a-t‑il été témoin de la violence contre une jeune Matsouaniste. « Dans notre culture, les aînés sont respectés comme s’ils étaient vos propres parents », remarque-t‑il.
« Et, imagine : j’étais un jeune garçon, j’ai vu des hommes adultes, des hommes âgés, nus. » Rue Archambault, la foule s’en prit au voisin de Jean. On lui retira tous ses vêtements et on attacha une corde autour de son pénis. On chantait en se moquant : « Papa devrait se laver dans le caniveau. » Ensuite, on déshabilla sa fille, et elle fut plaquée au sol, nue. Elle devait avoir à peu près quatorze ans. Ils forcèrent le père à la pénétrer. Ils le frappèrent et ils crièrent sur lui pour le forcer à la violer. Mais il ne pouvait pas. Alors, ils emmenèrent la fille et introduisirent en elle une bouteille de pili-pili. Jean agite alors son bras droit comme s’il enfonçait une porte fermée. « C ’était un viol, bien sûr, un viol ! » Plus tard, d’autres personnes emmenèrent cette jeune fille à l’hôpital ; mais au moment où cela s’était déroulé, personne n’avait bougé, tout le monde regardait. « C ’étaient des bana baganda, les fils du caïman, tout le monde le savait. » Les bana baganda étaient les jeunes partisans de Youlou ; celui-ci avait choisi le caïman comme symbole de son pouvoir.
Les matsouanistes ne trouvèrent aucune protection auprès des autorités. Comme François, ce jour-là, Georges rapportait ses résultats scolaires de fin d’année. Son père et son frère aîné, un Matsouaniste de vingt ans, actif au sein du mouvement, avaient été torturés, complètement déshabillés et exposés nus sur le marché. Sa mère, elle, se trouvait ailleurs, au village, dans la région du Pool. Son père et son frère ne revinrent pas à la maison, ils furent emmenés par la gendarmerie. Georges passa la nuit chez un ami de son père. 
Le lendemain matin, cet homme le conduisit auprès du ministre de l’Intérieur, Dominique Nzalakanda, qu’il connaissait personnellement et qui habitait non loin de là. Il lui demanda de laisser cette famille en paix : elle comptait des enfants encore petits, le père de Georges n’était pas un vrai Matsouaniste, sa maison ne devait pas être démolie. 
Nzalakanda répondit, Georges s’en souvient clairement :
 « Si c’est la maison d’un Matsouaniste, elle doit tomber ! » Ce fut ce qui arriva : la maison fut en effet démolie. Comme ils ne pouvaient ni rester auprès de l’ami de leur père, ni rejoindre leur mère au village où les matsouanistes étaient également agressés, Georges et son petit-frère décidèrent de retrouver leur père et leur frère aîné à Mpila.
Page 214 DÉPORTATION
Le hangar de Mpila ne fut ni le refuge, ni le bastion de la résistance Matsouaniste qu’ont décrit es rapports français. Les matsouanistes étaient « parqués » à Mpila. Ce terme, c’est celui dont usent les récits oraux des témoins. Il traduit bien que leur installation à Mpila résultat de circonstances imprévues. On les entreposa là comme on entrepose des objets. Leur séjour ne devait être que provisoire, le temps de décider ce qu’on allait faire de ces « objets indésirables ». La solution adoptée fut de les déporter vers Fort- Rousset (Owando), Boundji, Kellé, Makoua, Djambala, Lekana, Abala, Gamboma, Sibiti, Mossendjo et M’vouti. 
D’autres acceptèrent de rentrer à Bacongo et à Poto-Poto.
La déportation se déroula dans le chaos et la violence. Dès l’aube, il fut ordonné aux matsouanistes d’entrer dans les camions.
En général, ils refusèrent et résistèrent. Ils demeurèrent collés les uns aux autres comme « un nœud de vipères 58 ». On usa de la force pour les séparer, on les frappa à coups de bâton pour les pousser dans les camions. Ce fut le sauve-qui-peut. Les témoins se souviennent qu’on employa contre la foule du gaz lacrymogène : aucun rapport ne le mentionne pourtant. Quand Emmanuel me le raconte, il se lève et mime la façon dont il fut frappé et battu dans le camion. Ce matin-là, trente-six personnes moururent, dont des enfants. Emmanuel cite le nom de plusieurs d’entre elles. « La gendarmerie les a tuées », dit-il. Les rapports français déclarent, pour leur part, qu’elles ont suffoqué ou qu’elles sont mortes piétinées dans la bousculade. Plus de cent personnes furent blessées.

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